LA BATAILLE POUR NICE MENEE PAR LE S.F.A.M. du 11 au 25 JUIN 1940 par le général Magnien
ARMEE DES ALPES
15° C.A.
S.F.A.M.
(Secteur Fortifié des Alpes-Maritimes)
ETAT-MAJOR
3° Bureau
N°1970/3
LA BATAILLE POUR NICE MENEE
PAR LE S.F.A.M. du 11 au 25 JUIN 1940
11, 12 et 13 juin
Le 11 Juin à 0 heure, les hostilités étaient ouvertes entre la France et l'Italie. Par ordre du Général Commandant l'Armée des Alpes toutes les destructions préparées en avant de la P.R. (Position de Résistance) étaient aussitôt mises en oeuvre, à titre préventif, pour interdire à l'ennemi, dans toute la mesure du possible, une attaque avec appui massif d'engins blindés et pour gêner le mouvement en avant de son artillerie et de ses ravitaillements, au cas où il prendrait l'offensive. Seules ont été momentanément ajournées quelques destructions qui auraient gêné les propres communications des éléments avancés du S.F.A.M. Elles ont été peu à peu mises en oeuvre par la suite, au fur et à mesure du développement de la bataille
Les journées des 11, 12 et 13 juin furent sans histoire. Au contact, nos patrouilles d'Eclaireurs Skieurs signalaient que les Italiens se bornaient à aménager la crête frontière avec des réseaux et des armes automatiques partout où nous ne l'occupions pas en permanence. Nos quelques postes avancés à la crête frontière continuaient à vaquer à leurs occupations sans que les Italiens ouvrissent le feu sur eux. Nous ne cherchions pas d'ailleurs à revenir en force aux points d'observation habituels de nos patrouilles qui avaient été occupés dés le début par l'ennemi, mais nous mettions cette période de calme relatif à profit pour préparer encore de nouvelles destructions en avant de la P.R.
14 juin
Dans la matinée du 14, brusquement, au point du jour, l'ennemi tenta les premières actions de détails sur la frontière. D'une part il attaquait tous les points accessibles de la crête frontière du Tréitore (nord du Grammondo) à la mer (sud du Pont St Louis). D'autre part, une patrouille d'Eclaireurs Skieurs qui montait dans le brouillard au Capelet Supérieur (région nord de l'Aution) tombait dans une embuscade qui lui causait quelques pertes et la repoussait. De même la patrouille qui montait à l'observatoire d'Anan le trouvait fortement occupé, et accueillie à coups de feu, devait se replier. Mais dès le début de l'attaque notre supériorité s'affirmait sur deux points : - la résistance et la valeur de nos petits groupes d'Eclaireurs Skieurs qui infligeaient des pertes très sensibles aux Italiens avant de se replier devant des effectifs bien supérieurs en nombre. - La rapidité de déclenchement et la précision de nos tirs d'artillerie sur les crêtes et les débouchés de la frontière.
Dans la nuit du 14 au 15, les Italiens ont occupé d'une part : toute la crête Nord, du Scandail au Pas de la Tranchée, où nous n'avions aucun élément fixe, et d'autre part : l'observatoire du Campbel et les Granges d'Arrés.
15 juin
Le 15 juin dan la journée le secteur de la Pointe du Lugo voyait les Italiens se porter en avant dans la Région Cambel-Lugo, et également vers le Mont Ainé et les granges de Zuaine. Nos sections d'Eclaireurs Skieurs, selon les ordres donnés, se repliaient en combattant et s'accrochaient sur les pentes descendant vers la Roya dans la région de Pève et au-dessus de Breil et de la Giandola.
16 juin
Le 16, la pression Italienne s'accentuait. Elle se manifestait surtout en avant de Fontan, où deux de nos S.E.S. (à Scarassoui et à Pève) contenaient l'ennemi à l'Est de Breil, et au Cuore, où notre S.E.S, qui avait occupé un peu de territoire italien, pouvait maintenir ses positions.
17 juin
Le 17, ces petites actions se terminaient par un véritable succès de nos S.E.S. : - Celle de Scarassoui (105° B.C.A.) se dégageait sans perte en stoppant l'ennemi, fort d'un Bataillon ; - Celle de Pève (24° B.C.A.) réoccupait les Granges et capturait une quarantaine de prisonniers. - Celle des Granges de Zuaine et du Mont Ainé (85° B.A.F.) réoccupait ses positions qu'elle trouvait couvertes de cadavres ennemis. Notre artillerie d'ouvrage et de position venait de faire la preuve de l'efficacité de ses tirs sur les colonnes ou les rassemblements ennemis.
Le Gouvernement Français ayant fait connaître à Midi qu'il avait demandé au führer allemand à quelles conditions on pourrait cesser le combat, de curieuses tentatives de fraternisation (?) étaient esquissées par les Italiens vers la fin de l'après-midi au Pont St Louis; au Restaud et au Cuore. Ils nous annonçaient, sous le couvert de drapeaux blancs, que les hostilités étaient terminées, mais ne purent faire abandonner sa mission à aucun de nos éléments avancés.
18 et 19 juin
Les 18 et 19 Juin furent deux journées d'accalmie complète. Nos observatoires, par contre, signalaient des mouvements intenses sur les arrières ; surtout autour de Vintimille ; des relèves s'opéraient chez l'ennemi qu'on voyait recueillir et transporter des morts et des blessés fort nombreux.
20 juin
Le 20 Juin, les Italiens à la faveur d'un fort brouillard reprirent dès le matin leurs attaques : A l'Est de Breil, ils renouvelaient leurs tentatives précédentes pour arriver à la Roya en descendant du Mont Ainé vers Breil et les Granges de Vezaire, et de la Région de Pève vers Saorge. A l'Aution, l'artillerie préparait à Raus une attaque qui pouvait déboucher. Du Grammondo à la mer une grosse attaque était menée par la 5° D.I. italienne appuyée de chemises noires et soutenue par une forte action d'artillerie.
Certains de nos ouvrages ainsi que certaines positions de batteries (Monte-Grosso, Agaisen, Cap Martin, la Toracca, en particulier) étaient pris à partie par des pièces lourdes de 149, 210 et peut-être même de calibres supérieurs.
L'échec fut complet, notre artillerie de forteresse et de position ayant répondu à toutes les demandes d'appui de l'infanterie par des tirs rapides, remarquablement appliqués sur les objectifs signalés et qui avaient causé de très fortes pertes à l'ennemi.
Seul l'Ouvrage de Pont St-Louis avait pu être débordé mais il tenait toujours et sur les Corniches l'avance italienne avait pu être arrêtée sensiblement à la frontière. A Breil, l'ennemi avait pu arriver presque au bas des pentes et nos S.E.S. s'étaient retirées sur la rive droite de la Roya.
21 juin
La journée du 21 juin fut à nouveau employée par l'ennemi à ramasser blessés et tués, à regrouper les éléments engagés et à préparer l'entrée en ligne de nouvelles divisions entre Breil et la Mer. Notre artillerie eut là l'occasion de disperser encore de gros rassemblements. Pendant ce temps le Commandement Français se préoccupait de l'obligation où pourrait se trouver le XV° C.A. (Corps d'Armée) de mener la lutte sur deux fronts opposés, sur les Alpes contre les Italiens et sur la VAR contre les troupes motorisées allemandes.
22 juin
Le 22 juin, une attaque générale se déclenchait de bon matin contre le S.F.A.M, précédée d'une assez forte préparation d'artillerie sur toute la zone de Monte-Grosso à la Mer.
1°.- Deux divisions (37° D.I. « Modana » et 5° D.I. « Cosseria ») lançaient leurs fantassins et leurs chemises noires à l'assaut de notre position du Cuore à la Mer. Deux attaques convergentes, débouchant de part et d'autre du Mulacier prenaient comme objectif la région du Razet. Au Sud du Grammondo une forte attaque frontale visait les points forts de Castellar et de la Colle et les ouvrages d'avant postes qui les couvraient. Nos Sections d'Eclaireurs Skieurs supportèrent héroïquement le choc et arrêtèrent l'ennemi avec l'aide de nos petits ouvrages d'A.P. (Pierre Pointue - Scuvion - La Pena - Colette - Pilon - Pont St-Louis), des Sections défendent les points forts de Castellar et de la Colle, et de notre splendide artillerie divisionnaire de forteresse ou de position qui faisait un excellent travail malgré le brouillard qui gênait ses observateurs.
2°.- Une Division (3° D.I. « Ravena ») tentait de pousser par Fontan vers Breil. Elle engageait en première ligne dans la vallée de la Roya un Bataillon devant lequel reculait pas à pas une de nos S.E.S. qui le soir tenait encore toute la partie Sud de Fontan.
3°.- A l'Aution aucune attaque d'infanterie ne débouchait à la suite des tirs effectués surtout sur Raus et la crête qui s'étend de l'Orthigea à Plan Caval, notre artillerie ayant vivement riposté.
L'après-midi, la bataille se poursuivait avec violence sur tout le front du Razet à la mer, avec des fluctuations continuelles dues surtout à l'action de l'artillerie sur les troupes attaquantes et à la résistance énergique de tous nos éléments d'avant postes.
A la fin de la journée, autant qu'on pouvait en juger, le bataillon italien chargé de l'attaque au Nord avait pu pénétrer entre les deux ouvrages de Scuvion et de Pierre Pointue qui étaient débordés et presque encerclés. Il avait coiffé le sommet du Razet et commençait à descendre vers le point fort de Plan Germain où là les tirs combinés de l'artillerie et des deux ouvrages les stoppaient. Enfin le bataillon refluait vers le col du Razet, laissant des cadavres et des blessés sur le terrain.
Une sortie à la grenade d'une partie de la garnison de Pierre Pointue avait permis à celle-ci de ramener une dizaine de prisonniers qui furent enfermés dans l'ouvrage.
A Fascia Funda, un groupe d'Eclaireurs s'étaient héroïquement défendu et 5 Alpins s'étaient fait tuer sur leur arme qu'ils avaient servi jusqu'au dernier moment. Au Sud, l'attaque avait pu dépasser l'ouvrage du Pilon, déborder la Colle par ses deux flancs Est et Ouest, et atteindre les réseaux qui protégeaient Castellar, obligeant à envisager le repli de ces deux derniers points forts, comme il était prévu au Plan de Défense. Une radio émise par les Italiens nous apprenait le soir que la 89° R.I. venait de recevoir l'ordre d'occuper dans la nuit Menton, quelles que soient les pertes qui pourraient en résulter, et cela à la demande expresse du Gouvernement du Duce.
D'autre part des observateurs d'artillerie avaient signalé des chalands qui se rassemblaient derrière Grimaldi, ce qui pouvait faire craindre un débarquement éventuel sur le flanc ou les arrières du S.F.A.M, permettant de faire franchir à des engins blindés la zone, impraticable pour eux, des destructions. Nos troupes étaient donc avisées d'être particulièrement vigilantes au cours de la nuit et l'Artillerie, qui disposait à pied d'oeuvre d'approvisionnement relativement considérables et dont les ravitaillements se poursuivaient normalement chaque nuit, était invitée à exécuter, pendant la nuit, sur tous les points de passage de la frontière et sur les principaux points du champ de bataille, des tirs irréguliers de harcèlement en vue d'interdire ravitaillement et relèves, et de gêner la circulation.
Du fait de ses pertes de la journée et de celles dues à ces tirs incessants au cours de la nuit du 22 au 23, l'ennemi, une fois de plus, dû se regrouper et évacuer ses nombreux blessés.
Aussi la nuit resta-t-elle tout à fait calme. Mais le 23 au matin, par un temps très beau, des escadrilles de bombardement qui, la veille avait déjà opéré à Berre des Alpes, au Mont Chauve, aux Banquettes, venaient lancer leurs projectiles sur notre position de résistance dans la région des Corniches.
A ce moment, le Cuore tenait toujours solidement, malgré l'extrême fatigue de la S.E.S. qui s'y défendait. Toutes les S.E.S. qui avaient combattu plus au Sud jusqu'à la limite de résistance de leurs hommes, avaient été, dans la nuit, repliées en arrière de la P.R. et mises au repos afin de pouvoir être utilisées par la suite comme réserve de quartiers.
La ligne de résistance jalonnée par les ouvrages d'Avant Postes paraissait, sur tout de front, atteinte sinon dépassée. Le pilon, Pierre Pointue et Scuvion tiraient toujours, tandis que le Pont St Louis, la Colette et la pona, avec lesquels on ne pouvait plus communiquer, ne donnaient plus signe de vie.
Le point fort de la Celle avait été évacué et replié sur les hauteurs de la rive gauche du Caroï et l'ennemi était accroché aux réseaux de Castellar qui tenait encore.
A Menton Garavan, les Italiens ne paraissaient pas avoir dépassé les abords Est du Vieux Menton (Hôpital Barriquand et Port)
23 juin
Le début de la matinée du 23 restait assez calme. Un orage violent s'était d'ailleurs mis à tomber, s'ajoutant à un brouillard épais qui interdisait toute visibilité.
Vers 16 h 30, on signalait seulement que les Italiens avaient poursuivi la conquête de Fontan dont nous ne tenions plus que la sortie Sud. Par contre à l'Est de Breil, ils étaient un peu remontés vers le pont Ainé, suivis par des patrouilles de nos S.E.S. qui étaient repassées sur la rive gauche de la rivière.
A plan Germain, la situation restait toujours des plus confuses. Les Italiens semblaient avoir occupé l'ancien point fort, mais la garnison de celui-ci s'était retirée préalablement hors des bois, à la côte 1056 de la Graïa d'Erch d'où elle dominait, à courte portée, son ancienne position.
Scuvion et Pierre Pointue étaient maintenant dégagés et les communications par radio étaient rétablies avec tous les autres ouvrages d'avant postes, sauf celui de Pont St Louis.
Le Bataillon italien du Razet semblait avoir été relevé par un Bataillon frais. Des infiltrations étaient signalées descendant du Plan du Lion : l'artillerie française malgré le brouillard intense combattait d'ailleurs immédiatement tout objectif qui lui était signalé, tandis que l'artillerie italienne continuait à pilonner le P.R. avec des obus de tous calibres.
A partir de 17 h., sous une pluie diluvienne persistante et par un brouillard opaque, la bataille reprenait très violemment dans Menton même. Ne voyant rien, renseignés seulement par le bruit des armes qui tiraient et par les coups qu'ils recevaient, les défenseurs de la Position de Résistance ne pouvaient fournir que des renseignements très vagues, qui seront souvent reconnus erronés par la suite, mais que l'artillerie, exploitait aussitôt. Un char canon suivi par 200 hommes à pied était signalé dans l'entonnoir de la destruction de Carnolès, tirant à 1000 mètres sur les embrasures des casemates de Cap Martin ; des chars étaient signalés sur la basse Corniche, le long de la caserne de Menton, arrêtés par la grosse destruction de la villa « Bien Située », au tournant voisin de l'entrée du tunnel, puis sur la place d'Armes au bord de mer de Menton. Or il a été établi par la suite qu'aucun engin blindé italien n'avait pu pénétrer dans Menton, l'Ouvrage de Pont St Louis ayant toujours interdit le seul passage utilisable par eux.
Ces tirs d'artillerie déclenchés sur ces engins n'étaient d'ailleurs pas perdus car d'assez nombreuses unités italiennes, en particulier des chemises noires et des troupes d'assaut, profitant du brouillard, progressaient dans Menton. Et vers 18 h. on apprenait que les réseaux de fils de fer qui couvrent l'Ouvrage de Cap Martin étaient attaqués par d'importants effectifs qui étaient pris aussitôt à partie par tout ce qui pouvait tirer sur ces assaillants, et en particulier par les jumelages et par les mortiers de 81 de l'Ouvrage qui les fauchaient à 200 m: les Italiens qui n'étaient pas fauchés abandonnaient rapidement l'attaque et refluaient en direction du Vieux-Menton, poursuivis par de violents tirs d'artillerie. (1)
(1) : un renseignement donné par les Italiens après l'armistice, fait supposer que cette attaque a été menée par au moins un Bataillon, transporté par mer, à la faveur du brouillard en longeant la côte, et débarquant au Port de Menton.
Dans la crainte qu'à la faveur du brouillard, puis de l'obscurité de la nuit, l'attaque de la position de résistance ne soit reprise, une compagnie de Tirailleurs Sénégalais en réserve à la Turbie était avancée vers Ricard avec les 2 compagnies de chars F.T. dont disposait le S.F.A.M. et qu'ils orientait respectivement sur la Corniche Haute et la Corniche Basse.
Par ailleurs, le Commandement du Sous-Secteur qui avait déjà replié dans la journée les Sections occupant le point fort de Castellar et la crête au Sud (ancienne garnison de la Colle) les repliait à nouveau, considérant qu'à l'Annonciade et à la Maison Tardieu elles se trouveraient encore débordées, du fait de l'occupation de Menton, étant donné surtout que le brouillard empêchait d'en suivre les progrès. Seul le passage du Col de Rancurel se trouvait donc encore tenu en avant de la Position de Résistance, mais il sera replié à son tour au début de la nuit.
Pourtant la soirée du 23 et la nuit du 23 au 24 se passent dans le plus grand calme, toutes les troupes veillant avec soin, car le brouillard qui s'est maintenu serait favorable à des infiltrations dangereuses ; l'artillerie poursuit pendant toute la nuit ses tirs de harcèlement courts et irréguliers sur les points de passage et les points les plus importants du champs de bataille. Le Sous-Secteur de SOSPEL profite de ce calme pour permuter entre elles la S.E.S. qui tient le Cuore et qui est arrivée à bout de résistance physique, et la S.E.S. qui occupe les Bergevine et n'a pas encore été engagée.
Des patrouilles poussées dans Menton par le 96° B.A.F. au cours de la nuit pouvaient pénétrer dans la partie Ouest de Menton, jusqu'au Gorbio sans rencontrer d'Italiens.
Par contre des infiltrations d'Italiens étaient signalées de divers côtés, sans qu'il soit possible d'établir leur importance, ni même leur réalité : un blessé de la Pena qui descendait à Monti pour s'y faire soigner y aurait vu des Italiens et serait remonté jusqu'à la P.R. sans passer au poste de secours l'estimant occupé par l'ennemi ; des bruits d'armes automatiques auraient été entendus dans le ravin des Agreux, etc.
Sur la Roya, l'ennemi serait parvenu à déboucher de Fontan, mais il a été arrêté au confluent du Caïros ; il se serait approché des lisières Est de Saorge, mais n'aurait pu pénétrer dans ce village.
24 juin
Le 24 juin, dés 5 heures du matin, les avions ennemis recommençaient à voler au-dessus des lignes, mais sans lancer aucune bombe, et sans doute sans pouvoir reconnaître si le dispositif de défense avait été renforcé, car il régnait toujours un assez fort brouillard au sol.
Vers 6 heures 50 le S.F.A.M. recevait notification d'un télégramme officiel demandant aux troupes de tenir sur place coûte que coûte et malgré tout, et en particulier de faire l'impossible pour interdire toute violation de la P.R. Ce télégramme était notifié aussitôt aux Sous-Secteurs.
La journée s'écoulait ensuite dans le calme, toujours sous la pluie et dans le brouillard.
Les seules alertes dans cette journée où nos troupes, sentant un ennemi nombreux devant elles dans un brouillard persistant qui entretient la crainte perpétuelle du débouché imprévu d'une attaque, étaient dues à des renseignements toujours reconnus faux : retour de l'infanterie italienne dans les réseaux du Cap Martin, important rassemblement de chars sur la Place d'Armes de Menton, mouvement en avant d'une Division blindée sur la route de la Riviéra Italienne, avec un débarquement de ses éléments légers dans le port de Menton. Chaque fois notre artillerie déclenchait ses tirs, mais en réalité la journée n'était marquée par aucune attaque, l'ennemi qui avait éprouvé de très fortes pertes la veille, ainsi qu'on l'apprendra plus tard, utilisant sans doute cette journée pour amener à pied d'oeuvre de nouvelles unités et se bornant à des tirs d'artillerie sur nos positions ainsi que sur l'ouvrage encerclé du Pont St Louis dont l'équipage interdisait toujours tout passage sur le pont.
L'ouvrage de Pierre Pointue avait pu être ravitaillé dans le courant de l'après midi par une corvée qui avait ramené les prisonniers faits le 22. Le soir après le dîner, on apprenait que l'armistice venait d'être signé entre la France et l'Italie et que les hostilités seraient arrêtées à 0 heure 35 le 25 juin. Le Commandement ordonnait en même temps que, si le S.F.A.M. n'était pas attaqué, l'artillerie n'exécute pas les tirs de harcèlement qui avaient été prévus pour la nuit du 24 au 25.
Ainsi finit la bataille pour Nice.
Un des derniers tirs exécutés, dirigés par les pièces longues modernes du Mont-Agel sur la gare de Vintimille où l'on observait d'importants mouvements semble y avoir provoqué une explosion et un fort incendie.
Après une nuit très calme, le 25 au matin, par un temps superbe, les Italiens et les Français qui en bien des points n'étaient plus au contact, se sont portés à la rencontre les uns des autres et la ligne de démarcation les séparant s'est trouvée, en fin de matinée, jalonnée de la manière suivante :
Cours inférieur du ravin de Gorbio par le Pont de l'Union, Pentes Sud de la crête de l'Annonciade, ligne passant immédiatement à l'Est des ouvrages d'Avant Postes du Pilon à Souvion, Castellar restant aux Français ainsi que la crête du Razet, le Cuore, l'ancienne frontière de la région du Grazian atteignant la Roya à la garde de Piena, cours inférieur de la Roya Française en aval de la Chapelle St Antoine (Sud de Breil), la Tour Ruinée, Cote 454, Chapelle St Anne, lisière Est de Saorge, confluent Cairos - Roya, Collet d'Albeï, granges de Nérim, Col de Mardi, Faux Col de Raus (au Nord de la Cime de Raus).
L'Ouvrage du Pont St Louis, bien qu'encerclé, tenant toujours, deux officiers français s'y rendirent en parlementaires dans la matinée du 25 juin pour notifier à la garnison la cessation des hostilités. Les autorités Italiennes se montrèrent à cette occasion très correctes. Elles exprimèrent toute leur admiration pour la garnison de cet ouvrage et autorisèrent sa relève le soir même, vu son état de fatigue, par une nouvelle garnison de composition absolument identique, demandant en échange que la barrière interdisant la circulation fût légèrement entrouverte pour permettre le passage des ambulances et l'enlèvement des très nombreux blessés italiens tombés à Menton et que l'on ne savait comment évacuer. Deux jours après, les italiens firent demander si on ne pourrait ouvrir la barrière complètement et dégager les champs de mines qui la doublaient, afin de laisser passer les convois nécessaires aux ravitaillements des troupes d'occupation de Menton : la garnison de l'ouvrage se retirerait alors avec les honneurs de la Guerre pour rentrer en France Libre, avec ses armes, ses vivres et ses bagages. Sa seule présence avait suffi à interdire tous passages autres que ceux des ambulances. Le prestige des défenseurs de cet ouvrage était tel qu'en partant le soir, le sous lieutenant commandant l'ouvrage pût emporter la clef, après avoir fermé la porte : un coin de France restait ainsi inviolé.
Conclusion
Au cours de cette bataille de 10 jours, le S.F.A.M. a pleinement rempli sa mission de couverture de la ville de Nice. L'ennemi n'a pu occuper que Menton et Fontan. Pourtant cinq Divisions Italiennes avaient été engagées, sur le front du S.F.A.M. dont trois avaient été assez fortement éprouvées pour qu'il fût nécessaire de les relever. Trois autres Divisions étaient sur le point d'entrer en ligne, semble-t-il, si l'Armistice n'était pas intervenu.
De l'aveu même des Italiens leurs pertes avaient été très élevées, peut-être 4000 à 5000 hommes tués ou blessés, alors que celles des troupes du S.F.A.M. restaient au contraire excessivement faibles :
8 tués (1) 35 blessés 33 prisonniers ou disparus.
(1) auxquels on peut ajouter 4 morts par accident, 2 du fait de la chute d'un câble électrique à haute tension et 2 par éclatement d'une bouche à feu.
C'est ainsi que la bataille pour Nice avait revêtu un caractère tout particulier : elle avait été menée presque uniquement par l'artillerie française, en partie abritée dans les ouvrages, contre l'infanterie italienne attaquant à découvert.
L'infanterie Française n'y avait pris qu'une part assez faible, car la position de résistance était demeurée inviolée. Elle pouvait d'ailleurs être fière des petites unités qu'elle avait pu engager : Sections d'Eclaireurs Skieurs et quelques Sections avancées de F.V. dont les manoeuvres élastiques avaient tous les caractères de petites contre-attaques, enfin garnisons des petits ouvrages d'Avant-Postes, aux feux puissants et aux coeurs vaillants.
Toutes avaient lutté avec succès à un contre dix, parfois même à un contre vingt.
Q.G. le 8 juillet 1940
Le Général M A G N I E N
Commandant le S.F.A.M.